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LYON JUIN-JUILLET 1869 LA GREVE DES OVALISTES

La section vous propose sous forme d’une mini-série (4 parties - une par semaine) l’article écrit par Bernard Chareyron pour le compte de l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT. Cet article a pour sujet la grève des ovalistes, ouvrières lyonnaises de la soie, qui ont mené un des premiers combats ouvriers en France.

C’est aussi pour nous l’occasion de rappeler, à quelques semaines de la grève du 8 mars pour la défense des droits des femmes, la détermination de ces ouvrières et l’exemplarité de leur mobilisation.

L’auteur de l’article, Bernard, ancien secrétaire de la section du SNADGI CGT, participe à l’animation du "collectif retraités finances" du Rhône et offre également son temps et son expérience militante à l’IHS CGT.

Nous remercions l’IHS et Bernard de nous avoir autorisé à publier document.
Bonne lecture et rendez-vous le 8 mars en grève et en manifestation !

Les ovalistes dans le contexte de la soierie lyonnaise

Le contexte historique

Nous sommes à Lyon et nous nous transportons 25 ans après la deuxième révolte des canuts et un an avant la chute du Second Empire qui sera suivie de la création de la Commune que ce soit à Paris mais aussi à Lyon.
C’est la période où l’autocrate Napoléon III s’aperçoit qu’il faut lâcher du lest.
L’industrialisation rapide du pays développe en effet une classe ouvrière dont l’exploitation féroce génère une agitation grandissante qui risque de mettre à mal la bourgeoisie. Ainsi l’empereur assouplit le contrôle de la presse, libéralise quelque peu le droit de réunion, décrète une amnistie des prisonniers politiques. Mais surtout, dans le cadre qui nous intéresse dans cet article, la loi dite Ollivier du 25 mai 1864 supprime le délit de coalition mis en place par la Révolution avec la Loi « Le Chapelier » de 1791. C’est donc la reconnaissance du droit de grève. Notons néanmoins que les syndicats continuent d’être interdits. Ils ne seront légalisés qu’avec la Loi Waldeck-Rousseau en 1884 suite à la grève des mineurs d’Anzin.

L’histoire de la soie à Lyon
Les ovalistes sont des ouvrières de la soie. Voilà l’occasion de rappeler l’odyssée de la soierie lyonnaise dont l’importance est difficile à imaginer aujourd’hui.
Depuis des millénaires la Chine maîtrisait l’art d’élever les vers à soie et de produire la soie. Dans l’Antiquité elle exportait déjà ce produit vers l’Europe. C’est la fameuse « Route de la Soie ». Au Moyen-Age elle débouchait en Italie. En outre les italiens avaient fini par percer le secret bien gardé de la culture du ver à soie et appris à tisser la soie.
Les nobles et les riches français adoraient ces étoffes luxueuses et confortables et les achetaient au prix fort. Le roi Louis XI voulant éviter la fuite des devises vers l’Italie cherche dès 1466 à attirer à Lyon et Tours les tisseurs de soie italiens.
François lier va amplifier cet effort. Il se déplace très souvent à Lyon dans le cadre de ses campagnes d’Italie. Il songe même un moment y installer sa capitale. Même si le projet ne se concrétise pas, en particulier à cause de la « Grande Rebeyne » en 1529, le roi va assurer à Lyon un essor économique inespéré. Il signe ainsi en 1536 des lettres-patentes accordant a des tisseurs d’origine italienne - Turquet et Neris - la fabrication des étoffes d’or, d’argent et de soie. Dès 1539 une demande de subvention de 1 000 écus est déposée pour installer un moulin propre à filer et à retordre la soie.
Un moulin ? Retenez bien ce mot car nous arrivons doucement à notre sujet.
Lyon deviendra ainsi pour plusieurs siècles la capitale mondiale de la soie.
Cette industrie jouera un rôle économique déterminant sur le plan local jusqu’au XX°siècle et à la création de la soie artificielle.
L’essor maximal est atteint au dernier tiers du XIX 0 siècle. L’invention et la généralisation du métier Jacquard permettra en effet d’améliorer considérablement le tissage de la soie en qualité et en quantité.

Le poids de la Fabrique à Lyon
La « Fabrique » est le terme utilisé à Lyon pour désigner l’ensemble économique intégré des différentes entreprises, acteurs et métiers de la soie.
C’est un écosystème puissant qui au XIX 0 siècle représente 75% de l’industrie locale. Avec 400 entreprises et plus de 100 000 métiers à tisser c’est presque une industrie hégémonique. Elle fait vivre en symbiose des quartiers entiers de Lyon et tout un réseau d’ateliers dans la vaste zone périphérique allant du Vivarais au Bugey, du Nord Dauphiné au Forez ou au Beaujolais.
Même quand elle déclinera la soierie à Lyon aura atteint un tel poids qu’elle sera à l’origine plus ou moins directe, de nouvelles filières industrielles locales florissantes. Quelques exemples :
a/ La nécessité de fournir des colorants aux textiles va générer le développement de l’industrie chimique lyonnaise. On connait tous le bleu Guimet par exemple ou l’odyssée des usines Gillet qui vont devenir Rhône-Poulenc.
b/ La crise de rentabilité de la soie naturelle due à la concurrence des pays a bas couts aboutit à l’invention de la soie artificielle. Le poids de la firme Rhodiaséta (Seta = sole en italien) ensuite orthographiée Rhodiacéta est encore dans les mémoires.
c/ Le grand nombre de mécaniciens affectés aux métiers à tisser la sole va alimenter le gout pour les inventions mécaniques et sera le vivier de l’industrie automobile naissante. Ainsi à titre d’exemple Marius Berliet était fils et petit-fils de canuts. Lyon restera d’ailleurs jusqu’en 1918 le second pôle automobile du pays.
d/ L’importance des capitaux accumulés par les négociants et leur rôle dans la répartition de la valeur au sein de la Fabrique va générer la création de la banque moderne dont le Crédit Lyonnais est l’archétype.
e/ L’industrie pharmaceutique est aussi en partie due aux efforts de Louis Pasteur (qui y laissera sa santé) pour trouver les causes et les remèdes de la maladie du bombyx du mûrier. Charles Mérieux est un élève de Pasteur.
f/ Certains voient même dans le mécanisme Jacquard avec ses cartons perforés l’ancêtre de l’ordinateur. Mais il n’y a pas eu pour autant de « Vallée du Silicium » à Lyon !

Les quatre étapes du travail de la soie naturelle
Il y a 4 étapes principales dans le travail de la soie naturelle. A chacune de celles-ci se greffent des dizaines de métiers différents.
A/ La sériciculture
C’est l’élevage du ver à soie, le bombyx du murier, depuis l’éclosion de la graine, la naissance du ver jusqu’à sa transformation en papillon. Cet élevage provient essentiellement des magnaneries de la vallée du Rhône, du Vivarais, des Cévennes et du Dauphiné.
Cela réclame de nourrir ces animaux avec une énorme quantité de feuilles de murier, dans des conditions de chaleur, d’humidité et de ventilation très exigeantes. La croissance dure un mois à l’issue duquel le ver va cracher son fil de soie (1.500 mètres par animal !) pour constituer son cocon.
B/ La filature
C’est l’activité consistant à dévider le cocon afin d’en tirer le fil de soie. Les cocons sont plongés dans un bain d’eau bouillante. Ils se ramollissent et sont alors agites par un petit balai afin de dégager les fils. Ceux-ci sont attaches au métier à filer puis enroules sur l’écheveau. Les premiers outils étaient en bois mais dès l’invention de la machine à vapeur (1769) les métiers à filer se modernisent et atteignent rapidement le stade industriel.
C/ Le moulinage
C’est cette phase que travaillent les ovalistes, nom donné aux mouliniers du fait des nouveaux moulins ont remplacé les outils artisanaux ronds et en bois.
Le moulinage est l’étape fondamentale qui va transformer le fil de soie brute ou soie grège en fil qui pourra être tissé. Cela consiste à tordre le fil sur lui-même afin d’en augmenter la résistance et améliorer l’aspect.
D/ Le tissage
Le tisseur, c’est-à-dire à Lyon, celui qu’on appelle le canut, élabore la précieuse étoffe. Il entrelace les fils de chaîne (dans la longueur du tissu) avec les fils de trame (dans la largeur du tissu). Selon la technique utilisée on peut produire la mousseline, le velours, le taffetas, le satin, le brocard, le damas etc. Grâce au célèbre métier à tisser Jacquard on peut exécuter le façonnage des tissus précieux grâce à un système de cartons perforés qui définissent des motifs qui peuvent être très complexes.
Mais que font les Soyeux dans tout ça ?
Méfiez-vous des termes, les soyeux ne travaillent pas la soie. Ni la soie, ni autre chose d’ailleurs. On les appelle également les fabricants dans la mesure où ils sont les maîtres de la Fabrique. Mais ils ne fabriquent que des profits. Ce sont des financiers, des marchands, des donneurs d’ordre. Ils achètent la soie, ils passent les commandes à des ateliers qui leur sont juridiquement indépendants. Et ce sont eux, les soyeux, qui écoulent ensuite la production. Ils sont les capitalistes de la soierie, secteur qui s’industrialise rapidement au XIX 0 siècle et où les fortunes se construisent à une vitesse Inouïe.

Qu’est-ce qu’un-e ovaliste ?
« Ouvrier, ouvrière, qui prépare la soie ovalisée. Synonyme de moulinier, moulinière ». in Dictionnaire Littré.
« Celui qui, au moyen d’un métier ayant la forme ovale, prépare les soies destinées à la fabrication des bas, des tulles et des ouvrages de passementerie. » In Tarif des patentes, 1858.
« Ouvrière de la soie dont le travail appelé également moulinage, consistait à appliquer des traitements préparatoires au fil de soie brute afin de le rendre propre au tissage ». In Wikipédia.

Quel est le travail des ovalistes ?

Le moulinage est une étape indispensable dans le processus de la soierie. Les mouliniers utilisent la soie grège, la travaillent, la torsadent, l’affinent, la consolident jusqu’à obtenir un fil brillant, régulier prêt au tissage. Comme la teinture ne peut s’appliquer que sur un fil résistant et sans défaut il y a parfois un second moulinage.
Ovaler la soie est le résultat d’un moulinage perfectionné inventé à Nîmes et Lyon. Grâce a cette technique on peut tordre isolément puis ensemble jusqu’à 16 brins de soie grège. D’où un gain d’efficacité remarquable.
Si la soie grège est en partie importée - car le pays ne produit pas assez de soie- le moulinage est lui effectué à 1000/0 en France. Certes l’Extrême-Orient ou le bassin méditerranéen font du moulinage mais le résultat n’est pas du tout apprécié par le marché européen.
Le moulinage est un travail répétitif, aux cadences élevées. Il faut être rapide, habile de ses doigts, méticuleux et avoir une vue excellente compte-tenu de la finesse des fils de sole.
Ce travail est donc le fait d’une main d’œuvre rurale, non-qualifiée, habile, jeune et sous-payée donc... féminine.

De l’hôpital à l’usine
Les premiers moulins sont établis le long des cours d’eau. Ainsi à Lyon dès le XVI 0 siècle l’Hôpital de la Charité au bord du Rhône utilise le fleuve et une main d’œuvre gratuite dont elle dispose abondamment : les pauvres et les enfants abandonnés !!
Grâce à l’invention de la machine à vapeur les moulins vont pouvoir s’éloigner des cours d’eau. Ils vont s’établir dans tous les quartiers de Lyon mais également dans les zones rurales. Le moulinage est l’opération la plus mécanisée du travail de la soie. Les soyeux avec leur force de frappe financière changent progressivement de stratégie économique. Ils implantent maintenant de véritables « usines-modèles » ou tout est réfléchi et organisé rationnellement à défaut de l’être humainement. En réalité le terme le plus approprié est plutôt celui « d’usines-pensionnats » ou « d’usines couvents ». Ces usines, comme celle de Jujurieux dans le Bugey, exploitent des centaines de jeunes ouvrières placées par leurs parents pour 3 ans, le temps de se payer une dot et de se constituer un trousseau. Elles sont encadrées à l’atelier par des contremaitresses et au réfectoire, au dortoir et à la chapelle par des religieuses.
Mais revenons à nos ovalistes.

Où travaillent les ovalistes lyonnaises ?
D’abord à la Croix-Rousse bien sûr. C’est en effet le quartier de la Fabrique par excellence. Il a fait l’objet d’une urbanisation rapide après la Révolution. La ville de Lyon était surpeuplée depuis le Moyen-Age, étouffée derrière ses murailles, alors que dans le même temps la colline n’était occupée que par les propriétés des couvents et des congrégations au XVIII°. L’expropriation des biens du clergé et leur vente dès 1790 va permettre de lotir rapidement les pentes et le plateau.
Les immeubles vont se construire en hauteur pour accueillir les métiers à tisser. Avec des fenêtres très hautes pour l’éclairage naturel indispensable pour le tissage. Par souci de rentabilité le bâti est très dense et même les cours intérieures se remplissent d’appentis et d’ateliers.
Le manque d’air, de soleil, les espaces réduits, la poussière due à l’activité professionnelle au sein même des logements, tout cela génère des conditions d’hygiène très dégradées. D’autant que l’eau portée à bout de bras dans les étages supérieurs est une denrée rare.
La commune de la Croix-Rousse, située au nord du Boulevard (les ex remparts) va être intégrée à celle de Lyon en 1852.
Les ateliers d’ovalistes sont nombreux dans ce secteur géographique même s’il s’agit des plus anciens et des plus petits d’entre eux. Les rapports de police indiquent 25 ateliers d’ovalistes touchés par la grève à la Croix-Rousse en 1869. On peut supposer le nombre total d’ateliers est bien plus important car le quartier est riche de petits ateliers où la grève n’a pas pu se développer.
En tout état de cause, les patrons les plus modernes cherchent désormais des terrains plus favorables à leur activité hors de la Croix-Rousse. Surtout après les deux révoltes des canuts de 1831 et 1834.
C’est la rive gauche du Rhône qui va alors attirer ces nouveaux maitres-mouliniers. En effet le terrain y est plat, les superficies ne sont pas comptées. Bref la commune de la Guillotière - qui correspond aux actuels 3°, 6°, 7° et 8° arrondissements - accueille les nouveaux ateliers d’ovalistes.
Ladite commune est intégrée à Lyon en 1852 tout comme celles de la Croix-Rousse et de Vaise.
• Dans le quartier actuel de La Guillotière les conditions d’hygiène sont également pitoyables. L’habitat est de piètre qualité et il y a encore de véritables marécages à chaque crue du fleuve ou à chaque pluie.
La classe ouvrière est très nombreuse et diversifiée dans ce quartier mécaniciens, chauffeurs, chaudronniers, menuisiers, maçons etc. La démographie est galopante car les gens modestes sont chassés du centre-ville par les grands travaux du préfet Vaÿsse, l’équivalent lyonnais de Hausmann à Paris, qui crée dans la Presqu’île un quartier huppé pour la bourgeoisie triomphante.
A la Guillotière 44% de la population active travaille dans le textile et l’habillement. Mais la soie n’y est pas prépondérante. Ce n’est pas la mono-industrie de la Croix-Rousse.
6 ateliers d’ovalistes de taille moyenne ont été recensés pendant la grève dont celui des frères Chareyre employant 90 ouvrières rue des Trois-Pierres.
• Mais c’est surtout aux Brotteaux qu’arrivent les nouveaux ateliers d’ovalistes. Pendant la grève on en recense 53.
Le quartier est en effet plat et assaini. Il est récent, aéré, viabilisé ; les constructions sont de bonne qualité. Compte-tenu de la spéculation qui sévit et chasse les petits artisans ce sont surtout de grands ateliers d’ovalistes qui s’installent.
En raison du prix des logements les ovalistes qui travaillent aux Brotteaux n’habitent pas le quartier mais résident plutôt à la Part-Dieu où sont également établis 10 ateliers.
Relativisons ce constat car nous verrons plus loin que les ovalistes dans leur majorité logent dans l’entreprise même.
• Enfin dans le quartier des Charpennes à Villeurbanne, on trouve également 200 ovalistes qui travaillent dans une zone essentiellement connue pour ses teinturiers. On recense ici 6 ateliers concernés par la grève.
• Pour compléter le tableau, notons également 5 ateliers de moulinage excentrés (montée de la Boucle et quai des Étroits) où la grève a également été suivie.

Combien d’ovalistes à Lyon ? ... A suivre, la semaine prochaine

Article publié le 14 février 2024.


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