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LYON JUIN-JUILLET 1869 LA GREVE DES OVALISTES (3/4)

Nous allons maintenant nous immerger dans composent notre corporation, adhérer à leur grève de l’été 1869 et voir en quoi elle a constitué un moment important des luttes sociales, des luttes de femmes, au plan local comme international.

Le constat dressé sur les ovalistes en 1859, l’économiste libéral Louis Reybaud est éloquent :
« Elles arrivent à la tâche entière, comme compagnons. La seule différence est dans le prix des salaires. Le gouvernement de ces ouvrières est aussi facile que celui des ouvriers l’est peu. Elles sont douces, polies, obéissantes, se prêtent à toutes les services intérieurs et ne se rebutent ni ne se plaignent. La plupart conservent les sentiments religieux dont leur enfance a été nourrie... Point de débat avec elles, point de temps perdu en propos. Elles vivent ainsi, se perfectionnant dans leur art, trouvant le moyen de faire des épargnes même sur les salaires les plus modiques, s’amassant une petite dot en attendant un parti ».
Or ces gentilles petites belines envoient en juillet 1869 ce courrier à l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) basée à Londres : « Nous, ... membres de la Commission déclarons en notre nom et au nom des 8000 membres qui composent notre corporation, adhérer à l’Association Internationale des Travailleurs. » Mais oui il s’agit bien de la Première Internationale au sein de laquelle Karl Marx a joué un rôle capital.
Qu’est-ce qui s’est donc passé entre ces deux dates ? Une grève... et quelle grève !

Une pétition comme déclencheur

Le 17 juin 1869 un rapport de police signale à Delcourt, le commissaire spécial, que dans certains ateliers des ovalistes portent des revendications aux maitres-mouliniers en parlant même de grève pour appuyer leurs propos.
Du 17 au 21 juin des tentatives de négociation ont lieu mais les patrons restent sourds aux aspirations des ovalistes qui commencent à s’exprimer. Comment d’ailleurs peuvent-ils par imaginer que ces travailleuses si dociles depuis des décennies puissent se révolter ?
Et le 21 juin les ovalistes entrent dans la lumière ! Elles remettent ce jour à la Préfecture du Rhône une pétition signée par 265 d’entre elles.

Au premier abord le nombre de signataires parait modeste rapporté aux effectifs d’ovalistes travaillant à Lyon.
Mais songeons que ces travailleuses sont disséminées entre quasi cent ateliers. Faire circuler entre eux un texte collectif est fort difficile à une époque où n’existent ni les transports en commun, ni le téléphone, ni bien sûr les moyens modernes de communication.
Certes le courrier fonctionne bien. Mais ce canal n’est pas utilisé car la majorité des ovalistes n’ont pas d’adresse personnelle puisque logées chez l’employeur.
Il n’est donc pas étonnant dans ces conditions que ce texte ne recueille des signatures que dans 10 ateliers situés sur la rive gauche du Rhône. Nouveauté : on peut en déduire que l’épicentre du mouvement est situé aux Brotteaux et non plus à la Croix-Rousse comme en 1831 ou 1834.
Le nombre de signataires doit être analysé en tenant compte de la capacité qu’ont les ovalistes de lire, comprendre et signer un texte. Or on a vu dans le numéro précédent que f illettrisme est encore important en 1869. Ainsi entre 1863 et 1882 l’étude dite des " 3.000 familles ", précise que 32,07% des femmes ne savent pas signer leur nom. Ce chiffre est inférieur dans le Rhône mais en contrepartie il faut considérer que nos ovalistes sont issues de départements ruraux où le taux d’analphabétisme est beaucoup plus élevé qu’à Lyon. Ainsi l’Ardèche qui fournit le plus gros contingent d’ovalistes connait un taux d’illettrisme supérieur à 60% pour les femmes.

Ce chiffre est le même pour la Haute-Loire. Il n’est pas loin de 50% pour la Loire, l’Isère, la Drôme. Ajoutons également que 10% des ovalistes sont piémontaises, ce qui laisse supposer une mauvaise maîtrise du français écrit.
Le texte de la pétition mérite d’être cité. Il est reproduit en respectant la forme même si le texte original est manuscrit.
Le texte a été rédigé par un écrivain public, M. Bosquier, auquel les ovalistes ont eu recours. Elles utiliseront encore ses services lors de la grève en raison de leur absence de maîtrise de la langue écrite.
Le style est très respectueux mais ce sont des formules de politesse courantes à l’époque. En revanche le ton laisse envisager une grande naïveté sur le rôle d’un préfet. Manifestement il est perçu comme impartial et neutre. On attend-donc de lui un arbitrage qui devrait donner raison à la justice et à la morale.
Cependant, malgré leur inexpérience, les ovalistes ont élaboré un texte de nature syndicale qui n’a rien perdu de sa validité en termes de démarche. Il insiste d’abord sur la réalité concrète de leur profession et de leur situation de femmes salariées. Ensuite, et c’est son grand intérêt, il fixe clairement la revendication : augmentation des salaires pour toutes de 1F40 à 2F par jour et réduction d’une heure de travail par-jour. Enfin il précise qu’à défaut d’être entendues Le recours à la grève sera utilisé.
S’il peut paraître étonnant que des jeunes d’origine rurale envisagent la grève dont le droit n’a été conquis que depuis 6 ans. Mais, toutes inexpérimentées qu’elles soient, les ovalistes lyonnaises sont forcément influencées par les luttes sociales de cette fin de Second Empire. Ainsi en 1869 Lyon vit une véritable ébullition.
S’il y a eu seulement 2 professions en grève en 1867 à Lyon, en 1869, il y en a 22. Les grèves touchent les corporations suivantes : les peintres-plâtriers, les fondeurs en cuivre et en bronze, les guimpiers, les facteurs d’instruments, les maçons, les scieurs de long, les poêliers, les ferblantiers, les plombiers zingueurs, les garçons-coiffeurs, les tonneliers, les ouvriers en pâtes alimentaires, les mécaniciens, les chaudronniers, les ajusteurs, les ouvriers-boulangers, les ouvriers du gaz, les apprêteurs, les marbriers, les menuisiers, les imprimeurs sur étoffe et bientôt ....les ovalistes.

Quelle réponse ?

La pétition attire d’abord l’attention des pouvoirs publics sur les ovalistes. Il n’y a pas vraiment d’inquiétude mais la police est chargée néanmoins de surveiller celle qui apparait comme une meneuse, Rosalie Philomène ROZANT ouvrière logée chez Bonnardel, 65 rue Bossuet.
En outre Delcourt, le commissaire spécial, se renseigne et après enquête, estime le nombre d’ovalistes à 2.000 voire 4.000 réparties en 70 ateliers.
Dans son rapport il écrit :
« La plupart de ces filles et femmes sont obligées d’exploiter la prostitution pour arriver à se procurer le nécessaire. Il en sera ainsi de celles-là comme des autres tant qu’on n’améliorera pas leur position. Tout le monde sait que le travail des femmes est trop peu rétribué. Aussi cette prostitution en entretient un grand nombre qui exploitent ce vice avec dégoût ».
On sonde enfin les patrons pour connaître les risques de grève. Les maîtres-mouliniers l’estiment improbable mais ne parviennent pas à élaborer une réponse aux ovalistes. Ou ne le veulent pas.
Durant les 4 jours qui suivent la pétition, on remarque dans toute la ville des ovalistes qui se concertent, qui se déplacent en petits groupes d’un atelier de moulinage à un autre, qui parlent de grève.
Il est en effet devenu clair pour elles que les patrons font le gros dos et que le préfet ne jouera pas le rôle d’arbitre souhaité. Au contraire il fait paraître dans la presse le texte suivant : « les pétitionnaires ont été informées verbalement que l’administration ne peut intervenir dans les questions de travail ou de salaire. »

La grève éclate !

Le 25 juin 1869 le mouvement éclate au grand jour.
Ce jour-là, à la pause de 9h, les ovalistes des Brotteaux quittent massivement leurs ateliers et donnent oralement rendez-vous à leurs employeurs à 15h à la salle de la Rotonde. Il s’agit d’une très vaste salle de spectacles et de réunions située entre les rues de Sèze, de Créqui, Bossuet et Duguesclin dans le 6° arrondissement.
Les chroniqueurs sont stupéfaits de voir une telle mobilisation se mettre en place alors qu’ils n’avaient rien vu venir. Il y a bien eu la pétition mais pas un écrit, pas un tract, pas un billet, par un communiqué. Tout s’est passé oralement, sans traces. Les contacts se sont faits rapidement d’un atelier à l’autre, grâce à la marche pratiquée avec dynamisme par des groupes de jeunes ouvrières. Et au sein de chaque atelier l’information a vite circulé du fait de la vie collective en dortoirs. Même la réservation d’une si grande salle a été faite avec efficacité. Ce n’est donc pas un mouvement spontané. Il est au contraire tres organisé par les seules intéressées mais souterrain.

Le journal « le Salut Public » constate le lendemain : « Des groupes d’ouvrières ont parcouru les quartiers des Brotteaux en proclamant la grève. Elles se sont présentées à la porte des ateliers et ont signifié à leurs camarades la cessation immédiate du travail en leur indiquant l’heure d’une réunion délibérative à laquelle toutes étaient invitées à se rendre ».
Toute la matinée du 25 est en effet occupée à aller d’un atelier à l’autre d’abord aux Brotteaux puis progressivement à la Guillotière. Chez Boy, 1 rue Duphot, on assiste à un rassemblement de 200 personnes dispersé par les sergents de ville. Chez Avon, 13 rue du Gazomètre, les portes sont même enfoncées.
La surprise est totale quand les ovalistes arrivent à la Rotonde. Elles sont nombreuses, de 1.000 à 1.800 selon les sources. Sachant que la police estime le nombre d’ovalistes à Lyon de 2.000 à 4.000, la réussite est totale. Sont également présents des ouvriers d’autres secteurs venus par solidarité et environ 600 voisins.
Certains patrons sont venus mais ils assistent prudemment de loin à l’évènement, dans un café voisin, la « Renaissance », rue de Créqui.
L’Assemblée Générale se déroule en une heure à peine. Il faut dire que les ovalistes ne prennent pas la parole. Elles ont chargé M.Bosquier, celui qui avait rédigé la pétition, de présider la réunion, de présenter leur situation et leurs revendications. Ceci fait, le président donne la parole aux patrons pour envisager une négociation. Mais pas un seul ne se manifeste.
A partir de ce moment la situation se tend. Les grévistes sont ulcérées de ce refus de réponse de leurs patrons qu’elles ont pourtant invités. Elles se disent méprisées. La salle devient houleuse. M.Bosquier, qui n’est vraiment pas un défenseur acharné de la classe ouvrière, les appelle au calme et à la raison.
Après l’AG la discussion dure longtemps dans les rues par petits groupes. Des ouvriers des autres corporations donnent des conseils sur la lutte et proposent leur aide. L’agitation est à son comble toute l’après-midi.
Une anecdote montre l’état d’esprit des ovalistes à ce moment. Un patron moulinier attablé à la terrasse de « La Renaissance », ne trouve pas mieux que de plaisanter grassement d’une ouvrière. Celle-ci se jette sur lui et le gifle. La foule se précipite sur le patron goujat qui doit se réfugier dans le café assiégé. Les ovalistes ne sont plus désormais les timides petites jeunes filles sur lesquelles la presse faisait mine de s’apitoyer les jours précédents. Elles se rebellent !
Les grévistes décident alors collectivement de parcourir tous les ateliers de Lyon pour procéder au débauchage de leurs collègues.
Cette journée du 25 juin est capitale. Pour la première fois les ovalistes se retrouvent ensemble hors de leur atelier. Et elles ont adopté à l’AG leurs revendications qui va les cimenter : augmentation des salaires de 50 centimes par jour et réduction du temps de travail de 2h par jour (mais 1h pour celles qui sont logées sur place).
Pour le reste les états d’esprit sont fort divers. Certaines croient fermement que la Préfecture va leur attribuer une allocation de 75 centimes par jour pour continuer la grève ! D’autres attendent beaucoup des patrons. Enfin les plus lucides veulent élargir le mouvement.
De son côté la presse locale ne se trompe pas sur le caractère novateur de cette action de femmes. Elle note en détail les déambulations revendicatives des « bandes » de grévistes, quartier par quartier. Et comble d’horreur elle relève que ces dames se permettent ensuite des « promenades en ville » « avec leurs belles robes et leurs ombrelles » !

La grève se généralise

On a vu que le 25 juin, ce sont les ateliers des Brotteaux qui ont cessé le travail dès le matin.
Après l’AG les grévistes se partagent les tâches et vont voir, par groupes d’une soixantaine de personnes, leurs collègues à la Croix-Rousse, aux Charpennes et à la Guillotière.
Ainsi le 25 au soir c’est « une foule considérable » dit le rapport de police qui vient autour de l’ancien couvent des Chartreux à la Croix-Rousse, lieu qui abrite plusieurs ateliers d’ovalistes. Deux ateliers sont envahis. On parle de bris de carreaux. Les ouvrières de trois fabriques de pâtes alimentaires des environs se joignent aux manifestantes. Résultat les ateliers Victor, Craponne, Collet et Ladrey cessent le travail le soir même. Et au « couvent » la machine à vapeur qui actionne les ovales a cessé de fonctionner.
Le lendemain, le 26 juin, la quasi-totalité des ateliers sont en grève.
Il y a bien deux ateliers qui continuent à fonctionner : Eyraud, place Rouville et Thérasse, rue de Flesselles. Ici les maitres-mouliniers ont reçu les grévistes et ont accepté les revendications ... à condition que les plus gros ateliers fassent le premier pas. Premier succès ou tactique ou soumission aux gros ateliers ? Toujours est-il que les ouvrières ne partent pas en grève.
Aux Brotteaux la grève est totale et aucune reprise n’a lieu le 26. Un rassemblement de 200 ovalistes se tient néanmoins devant chez Baboin, rue Sainte-Elisabeth. Avec efficacité puisque le patron annonce qu’il passe les salaires à 2F par jour.
Aux Charpennes tous les ateliers se sont mis en grève. Les filles de chez Coiraton rejoignent en cortège le mouvement. A l’atelier Bonnamout il faut carrément l’intervention des sergents de ville pour que le patron respecte la loi et laisse ses ovalistes se mettre en grève. Ce sont elles qui entrainent au passage celles des ateliers Verrot et Beautheau.
En résumé sur la rive gauche du Rhône tous les ateliers ont fermé.
La situation n’évolue pas le 27 puisqu’il s’agit d’un dimanche. Une dizaine d’ovalistes se rend à la Préfecture pour toucher l’allocation à laquelle elles pensent avoir droit pendant la grève. La rumeur a la vie dure !

La réaction patronale

Autant les patrons n’ont rien vu venir autant leur réaction est vive quand la grève devient une réalité puissante.
Ainsi le 26 juin les négociants convoquent une réunion avec les principaux chefs d’atelier. Il est tout d’abord affirme que les revendications ne peuvent être satisfaites. Bien sûr ! C’était déjà implicite dans la mesure où les maîtres-mouliniers n’avaient pas répondu aux ovalistes. C’est désormais explicite et cette réponse est diffusée par voie de presse. Le « Courrier de Lyon » écrit ainsi « accepter de telles conditions c’est renoncer à faire concurrence aux mouliniers de la campagne d’une part, et ils sont nombreux, et aux mouliniers italiens d’autre part. Ceux-ci en effet ne paient ... une journée de travail de 12 à 14 heures qu’au prix de 75 centimes en moyenne ».
Rien de nouveau sous le soleil : on reconnait là le refrain entonné en tous lieux et de tout temps face aux revendications.
Les maitres-mouliniers qui avaient cédé à leurs ouvrières vont pouvoir faire machine arrière : les responsables de la Fabrique n’augmenteront pas les prix !
Plus surprenant pour les patrons ovalistes, les négociants annoncent que la grève tombe à pic car il n’y a pas de travail en ce moment. Bref la grève va remplacer le chômage partiel. Conséquence : il n’y a pas d’urgence à régler le problème. La reprise du travail se fera toute seule quand les filles seront épuisées.
Néanmoins pour les ateliers où le travail presse il est décidé de casser la grève par l’embauche de salariées italiennes « qui ne demandent pas mieux que de rentrer dans les ateliers ».

Pour ce faire il est demandé au Préfet de protéger les ateliers concernés avec « des sergents de ville ou des militaires » afin de parer « aux attaques des ouvrières françaises qui pourraient se présenter pour empêcher les piémontaises de travailler »
Les fabricants ont fixé la feuille de route, aux maîtres-mouliniers maintenant de régler les détails. Ils se réunissent donc, nombreux, dès le lendemain, le 27 juin, au café « Les Montagnes gauloises » vers la Tête d’Or.
A la différence des négociants les petits patrons, eux, sont pris à la gorge et veulent que le travail reprenne vite pour que les commandes reçues soient exécutées et donc leur soient payées.
Le plus efficace à leurs yeux est de priver les grévistes de leur logement !
A partir de cette date les patrons ne se réuniront plus formellement. Ils appliqueront chacun cette feuille de route en fonction des évènements.
Nous voyons alors en jeu deux conceptions différentes. D’un côté il y a les petits patrons paternalistes dans les vieux et petits ateliers de la Croix-Rousse. Et puis il y a les grands ateliers des Brotteaux ou les patrons « modernes », capitalistes assumes, utiliseront sans état d’âme les pires pressions y compris la menace de baisser de 50 centimes le salaire de celles qui ne reprendront pas immédiatement le travail.
Ceux qui se considèrent « le père » de leurs ovalistes en temporisant et en alternant pressions, discussions, promesses vont avoir de bien meilleurs résultats que les autres comme on l’a déjà vu.
Les patrons de combat, comme Bonnamour ou surtout Bonnardel, le plus important des maitres-mouliniers vont contribuer à envenimer le conflit.

La grève s’organise

Le 28 juin une délégation remet au sénateur-préfet une nouvelle pétition. Le texte permet de mesurer la structuration de la grève et son enracinement dans la vie sociale locale.
Le préambule est clair : « Les ouvriers mouliniers et les ouvrières ovalistes ... agissant au nom de tous leurs camarades et sous la présidence de Mlle Rosalie Rozen, ovaliste, demeurant rue Bossuet, n°65... »
Le style a beaucoup évolué en une semaine. Sont évoqués maintenant les ouvriers et plus seulement les « dames ovalistes ».

On parle ensuite des « camarades » ce qui ne correspond pas du tout au ton utilisé précédemment.
La pétition précise aussi que les signataires sont « résolus de sortir de la situation qui leur est imposée par des maitres égoïstes pour la plupart ». Les revendications n’ont certes pas varié mais on est passé d’un texte misérabiliste a un texte plus offensif où il est question de la dignité des femmes.
L’influence d’autres corporations plus rodées aux luttes a manifestement joué. Les échanges dans les rues, devant les ateliers, dans les cafés ont donc été productifs. On apprend vite dans les luttes !
Transparait surtout l’influence des militants de la Première Internationale qui sont très actifs et très appréciés à Lyon. On peut citer en particulier Louis Palix et surtout Albert Richard. Leurs noms figurent d’ailleurs dans les courriers échangés avec le Bureau de grève.
Les ovalistes ne sont plus seules. C’est positif pour la structuration du conflit, pour l’aide qu’il peut recevoir, pour le rapport de forces indispensable. Mais nos ouvrières ne risquent-elles pas d’être dépossédées partiellement de leur lutte ?
Ainsi l’intervention des hommes se traduit par le maintien d’une inégalité salariale entre les sexes dans la pétition. La revendication pour les femmes est toujours un salaire journalier passant de 1f40 à 2f. Mais pour les hommes on demande à passer de 2f à 3f.
Peut-il en être différemment à l’époque ? Il faut savoir par exemple que Pierre-Joseph Proudhon, militant révolutionnaire mort 4 ans avant la grève des ovalistes, n’était pas favorable aux luttes féminines. Pour lui en effet le capitalisme portait atteinte à l’ordre naturel des choses en obligeant les femmes à travailler alors que leur rôle était de s’occuper des enfants et « de la tranquillité du foyer domestique ».
Cependant Philomène ROZANT, bien qu’illettrée, est devenue officiellement présidente du Bureau de grève des ovalistes. Elle travaille dans le plus gros atelier de moulinage, Bonnardel, et a acquis une grande aura chez les ovalistes. Le « Courrier de Lyon » la décrit : « armé d’une badine à pomme d’argent, signe de son commandement ».
La grève s’organise et les ovalistes se retrouvent régulièrement au café Belmont, à l’angle des rues Cuvier et Créqui, aux Brotteaux. C’est leur PC !
Bosquier, le porte-parole initial du mouvement tente une négociation avec les patrons. C’est un échec. Il abandonne alors définitivement le mouvement au moment où se créée un Bureau de grévistes.
Comme le café Belmont est un lieu trop petit pour recevoir tout le monde, il y a 300 personnes qui stationnent le soir dans la rue à la faveur de la météo estivale. C’est là où les ovalistes fraternisent avec les autres ouvriers. C’est là où des délégués de l’Internationale les rencontrent comme le signalent les indicateurs de police.
L’ambiance est dite chaleureuse par les observateurs. C’est évidemment la découverte par ces ovalistes de la fierté de lutter, du bonheur de retrouver sa dignité, du plaisir d’être unies dans un espace de liberté nouvelle. On est jeune, on chante, on crie, on danse.
Les travailleurs des autres corporations -plâtriers, mécaniciens, teinturiers dans un premier temps- apportent des fonds pour aider à la grève. Une caisse de secours est mise en place 25 rue Bossuet. Des bons de pain sont édités par cette dernière.
C’est parce qu’il voit cette solidarité interprofessionnelle et ce mouvement qui se structure que le Pouvoir frappe fort et vite. Il interdit d’abord les collectes sur la voie publique. Puis le cafetier Belmont est condamné à 300f d’amende le 29 juin pour violation de la loi sur les réunions.

Une grève qui dure ...
A suivre, la semaine prochaine

Article publié le 27 février 2024.


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